Tadjikistan dans l’Empire Russe : Un mosaïque historique de souveraineté, de culture et de transformations
En 1864, une intervention des troupes russes en Asie centrale marquait le début d’une ère décisive pour la région. Cet événement a jeté les bases d’une restructuration complète et a profondément marqué le paysage politique et culturel. C’était l’année où l’Empire russe a étendu sa sphère d’influence aux territoires d’Asie centrale, ouvrant la voie à un développement historique complexe.
Le Gouvernement général du Turkestan, créé en 1867, est devenu l’administrateur de ces nouvelles terres. Un moment clé de l’année 1868 a marqué la défaite des troupes du Khanat de Boukhara et la signature subséquente d’un traité de paix avec l’Empire tsariste. Ce traité a conduit à l’annexion d’une partie du khanat par le Gouvernement général du Turkestan, rebaptisé région en 1886. Des accords similaires ont suivi avec le Khanat de Khiva en août 1873 et l’émirat de Boukhara en septembre de la même année. Ainsi, le khanat de Khiva et l’émirat de Boukhara, qui ont perduré jusqu’en 1920 et englobaient des parties de l’actuel Tadjikistan, sont devenus une partie de l’immense Empire russe, tout en préservant formellement leur souveraineté.
Cependant, ces alliances politiques ont eu des coûts importants pour les dirigeants autochtones. En vertu d’accords avec la Russie, les khanats ont été ouverts aux commerçants russes et intégrés plus tard dans la frontière douanière russe. Ils devaient verser d’importantes contributions militaires à la Russie, un fardeau lourd pour l’économie. Des conseillers russes ont été assignés aux deux dirigeants pour un contrôle étroit, plaçant Boukhara et Khiva sous une dépendance totale vis-à-vis de la Russie en matière de politique étrangère. La structure socio-politique et l’organisation interne des khanats sont restées inchangées, cependant : les khans de Boukhara et de Khiva régnaient toujours sur leurs sujets, et l’islam demeurait la religion dominante exerçant une influence déterminante sur la société et la culture.
En 1876, après la révolte de 1873-1876, le Khanat de Kokand fut aboli, son territoire étant intégré à la région de Fergana du Gouvernement général du Turkestan. En 1885, l’accord russo-britannique fixait la frontière avec l’Afghanistan le long du fleuve Panj, entraînant l’annexion de presque tout le territoire de l’actuel Tadjikistan à l’Empire russe. Les années 1910-1920 marquèrent le règne du dernier émir, Olimkhan, à Boukhara.
Bien que les interventions de la Russie dans le domaine social et culturel puissent sembler minimes, ses activités économiques ont eu des conséquences graves pour l’ensemble de la région. Des changements économiques importants ont eu lieu.
L’élite tadjike, tout comme l’ensemble de l’élite d’Asie centrale, n’était pas intégrée socialement dans la société de l’Empire russe. Ni les habitants nomades ni les sédentaires des khanats n’étaient considérés comme des Russes soumis (ils avaient le statut d’étrangers). Les autorités russes n’ont pas entrepris d’efforts majeurs pour développer des activités missionnaires ou pour la russification linguistique et culturelle de la population locale. L’administration russe a délibérément préservé un esprit clérical musulman conservateur, maintenant le contrôle sur les écoles et garantissant la propriété foncière étendue (Vakufs). L’activité missionnaire de l’Église orthodoxe était catégoriquement interdite.
Cependant, même une politique “neutre” de la Russie a eu des conséquences considérables sur les processus économiques, sociaux et politiques en Asie centrale. Le système d’administration militaire et une présence militaire importante garantissaient la loyauté de la population. Le statu quo en matière de gouvernance locale, de procédures judiciaires et de propriété foncière (avec des droits particulièrement importants sur les ressources en eau) a été maintenu. Cependant, le système de collecte des impôts a été progressivement unifié et une réforme agraire limitée a été mise en œuvre, affaiblissant quelque peu les structures féodales.
La politique russe en Asie centrale s’est avérée flexible et rationnelle, bien que des abus de la part de l’administration régionale russe n’aient pas été rares. En 1910 et 1913, des soulèvements organisés par l’élite locale ont éclaté dans l’est de l’émirat de Boukhara. Cependant, ils ont été réprimés. La révolution de 1905 a eu peu d’effet sur l’Asie centrale, et la région n’était que faiblement représentée à la première Douma. En juillet 1916, l’introduction du service militaire obligatoire en Asie centrale a conduit à des affrontements sanglants entre la population et les troupes tsaristes, initiés à Khodjent et s’étendant à d’autres parties de la région, mais finalement réprimés.
Dans une analyse rétrospective de cette époque, il est évident que la présence de l’Empire russe en Asie centrale a créé une toile complexe de dynamiques politiques, économiques et culturelles. L’équilibre entre la souveraineté formelle préservée et la dépendance pratique a façonné de manière décisive la structure et le développement de la région au cours de cette période. L’influence de l’Empire russe sur le Tadjikistan, qui faisait alors partie de Boukhara et de Khiva, a laissé non seulement des traces politiques, mais aussi des empreintes sociétales et culturelles profondes qui perdurent jusqu’à nos jours.